Alexandrine raconte... La liberté, en voyageant avec un cheval de bât, c’est le luxe de pouvoir se passer d’un programme. C’est de pouvoir aller où l’on veut, quand on veut, au gré de ce que l’on découvre sur la route. Mais cette liberté fait peur. L’inconnu fait peur. Surtout quand on trois grandes bêtes à nourrir et à installer confortablement tous les soirs en juste contrepartie de leurs services rendus. Donc au début, on assure nos arrières avec des points de chutes bien définis. Et puis petit à petit, chacun trouve sa place. Les chevaux maîtrisent le travail du bât, les cavalières maîtrisent le travail de la carte, la troupe arrive à décaler vers 9h et les kilomètres défilent. On a entendu sur la route qu’il serait dommage de traverser l’Ardèche sans passer par les monts du Mézenc et du Gerbier. (Notre programme, lui, pensait tracer tout droit. Efficace). Alors ça y est, on se sent prête pour le grand bain et on décide de quitter les sentiers battus pour se lancer à l'assaut des deux sommets. Il s’agit de décrire un arc de cercle vers le Nord pour grimper sur la ligne de crête, y rencontrer le Mezenc puis le Gerbier, avant de redescendre boucler la boucle une trentaine de kilomètres sous notre point de départ. Une affaire de trois jours à travers les Sucs volcaniques. Trois jours les plus chaotiques du voyage. Qui ont éprouvé les nerfs des cavalières, occasionné la perte de gants et le déchirement d’un pantalon, donné un aperçu du blizzard polaire et fait trembler les chevaux. Digression Je serais donc tenté d’écrire “mal nous en a pris”. Mais en y réfléchissant, je ne le crois pas. Dans les trois quarts du temps, en voyage, il ne se passe rien. Rien qui puisse se raconter avec des verbes d’actions haletantes. Lire une dissertation de 15 pages sur la douce quiétude qui s’installe lorsque, bercé par les pas d’un cheval, on observe lentement le paysage se transformer est ennuyeux. (Rien qu’avec cette phrase je vous ai perdu). Expliquer pourquoi il est si agréable de ne rien faire d’autre que de profiter du moment présent en vivant au grand aire est trop ardu pour s’y risquer. Alors au retour, quand arrive l’inévitable question “Raconte, c’était comment ?! ”, eh bien on ne répond pas grand chose d’autre que “C’était bien”. Malheureusement, cela satisfait rarement la curiosité de notre interlocuteur avide de sensations fortes. Alors on ressort les grands moments épiques de notre aventure, qui se comptent sur les doigts de la main mais qui laissent des souvenirs impérissables. Ces fameux trois jours vers le mont Gerbier en font partie. Nota bene : Vous pouvez choisir d’arrêter votre lecture ici, ou de continuer pour découvrir nos péripéties. Seulement, ne soyez pas déçu si elles ne sont pas à la hauteur de ce teasing. Souvenez vous qu’une simple pluie ou qu’un simple tronc couché peuvent sembler inoffensifs, comme se révéler cataclysmiques lorsqu’on a trois chevaux à gérer, un bât et 30km dans les pattes. Fin de la digression Jour 1 L’arrivée sur le plateau nous offre une vue panoramique sur la crête en arc de cercle, jalonnées des deux sommets emblématiques. Dans quelques jours nous serons en face. Grisant. Mais après 8h de route, nous sommes toujours perdues au milieu de fourrés humides, à sortir puis rouler en boule nos attirails de pluie au gré des caprices météorologiques. Alors que nous tournions tranquillement à un rythme de 15 à 20 km par jour depuis notre départ, nous dépassons aujourd’hui la 30e borne et notre havre hospitalier pour la nuit semble encore loin. Plus grisant du tout. La fatigue pèse sur les muscles et le moral. Étrangement, alors que j’adopte une démarche de canard pour tenter de détendre mes jambes, je suis envahie par un sentiment de colère inexpliqué. Sentiment toxique pour le bon fonctionnement d’un groupe, vous en conviendrez. Surtout lorsque vous êtes perdu au milieu d’une zone humide. Heureusement Camille prend la tête de notre petite troupe et nous conduit à bon port au village de Fay-sur-Lignon. 40 km au pas, ou le jour le plus long de notre périple. Cette anecdote paraît sans intérêt, pourtant c’est ici que l’histoire de notre troupeau à 5 commence à s’écrire. (Sortez les mouchoirs). Lorsqu’un membre commence à flancher, un second prend le relais. (Fin du mélo). La montée raide jusqu’au pré que nous avons déniché semble insurmontable. Heureusement, notre hôte nous attend avec un sirop de sureau qui, c’est bien connu, guérit tous les meaux. La petite soixantaine, artisan maçon, notre hôte est d’une gentillesse et d’une jovialité sans faille. Alors qu’il s’apprête à se rendre à un match d’impro (dont il est grand fan), il décale ses plans pour nous et installe les chevaux dans une pâture immense. Si grande qu’on doute un instant de les retrouver au matin. Cette question passe aussi vite qu’elle est venue. Il est 19h30 et notre seule aspiration est de monter la tente et de s'asseoir devant un bol de pâtes au pesto. Jour 2 Au matin du 2e jour, nous faisons connaissance avec la burle. Un vent qui hurle à s’en faire mal aux oreilles. On resserre les tendeurs autour de la bâche du bât qui menace de prendre son indépendance, on s’emmitoufle dans capuche et bonnet, les chevaux s’abritent les uns les autres et on se fraye un chemin dans ce boucan. Le soleil est haut et pourtant l’on s’imagine facilement la rudesse de ce climat en hiver. Ce qu’on imaginait pas en revanche, c’est que l’hiver arriverait de sitôt. Le contournement du Mezenc et la perte d’altitude nous offre un répit et nous profitons du panorama grandiose en déambulant entre les sucs volcaniques. Nous arrivons devant une exploitation, où les vieux hangars côtoient les vieilles ferrailles. Une quinzaine de chiens hurlent à la mort. Pas âme qui vive. Peu rassurées, on s’engage pour atteindre l’estive au bout de la route quand on aperçoit une silhouette courant vers un hangar. On en est persuadé, le gars va ressortir avec une carabine pour nous interdire le passage. On entend un moteur. Notre imagination s’emballe. Finalement on découvre la silhouette en train de déplacer son tracteur pour nous ménager un passage vers l’estive. Il nous adresse ce que l’on interprète comme un sourire et nous enjoint de bien refermer les portes. On promet en lui rendant son sourire et en méditant sur les apparences trompeuses. L’après-midi est longue. Il faut remonter les 400m de dénivelés perdus le matin, accepter les averses qui tombent sans sommation et composer avec les moto-cross plus surprises que les chevaux de nous croiser au détour d’un chemin. Prenez ces trois éléments adverses simultanément, ajoutez-y la fatigue de la journée et la faible expérience en maniement de bât, vous obtiendrez un tas emmêlé de chevaux et de cavalières. Dans ce bazar, un piquet de clôture du bât vient griffer ma cuisse et déchirer mon pantalon. Cet épisode sonne le début d’une nouvelle activité vespérale, la couture. A peine remontées sur la ligne de crête, nous retrouvons la burle. Cette fois accompagnée de son amie la grêle. Le Gerbier se découpe sur un ciel noir, dans une ambiance irréelle. Pas le temps pour la contemplation, il faut trouver un abri pour la nuit. Nous avions repéré ce matin sur la carte une sorte d’exploitation équestre. Les 7km qui nous en séparent, sur le bitume et sous la tempête, ne sont pas les plus agréables du voyage. Le cow-boy qui nous accueille est un personnage à lui tout seul. Malgré ses rodomontades, il prend soin des chevaux et les installe dans un paddock. Pour nous, il nous propose de partager l’écurie de son étalon Quater-Horse. On s’installe donc dans le foin et on cauchemarde toute la nuit en imaginant nos compagnons en proie à la Burle. Jours 3 Effectivement, au matin les chevaux n’ont pas passé la meilleure nuit de leur vie. Ils tremblent. On lève le camp en une demie heure, sous la pluie et dans une panique à peine maîtrisée. Pendant deux heures, on marche en bravant les bourrasques et la trombes d’eau pour tenter de réchauffer l’équipe. Dans un village désert, la pharmacie indique 2°C, mais le ressenti approche plutôt les - 8000. Dans notre départ précipité, j’ai égaré mes gants. Ce n’était vraiment pas le jour pour ça. Impossible de tenir en longe Saro sans perdre mes doigts. Je le passe donc à Camille et rapatrie mes mains sous mon imper. Les chevaux marchent en crabes pour se protéger des bourrasques. Véritablement, l’ambiance est apocalyptique. Mais la fin du monde n’est finalement pas pour aujourd’hui et le temps finit par s’apaiser. Cette tempête nous laisse hagards, perdus dans un paysage brumeux et détrempé. Notre unique objectif est de perdre de l’altitude pour s’éloigner de ce climat de fou. Alors on s’enfonce sans sourciller dans un chemin forestier qui descend dans la vallée. Si nous avions croisé ce chemin à la fin du voyage, l’expérience nous aurait dissuadé de l’emprunter avec le bât. Mais à cet instant, l’expérience, nous ne l’avions pas. Ce qui devait arriver arriva. Après deux heures de descente compliquée, où chaque passage délicat franchi interdit un peu plus le retour en arrière, nous voilà bloquées devant un gué. Dérisoir pour un piéton. Infranchissable pour un cheval chaussé de sabots. En effet, nous sommes dans une petite ravine et le seul passage pour traverser et récupérer le sentier a été aménagé avec des grosses pierres en dalles rondes et glissantes. Impossibles d’engager les chevaux dessus. Impossible également de faire demi-tour. Je rajouterai enfin que le GPS a perdu notre trace. Après une heure de recherche, on finit par repérer une trouée sur le flanc raide de la berge opposée, qui pourrait être empruntée pour rejoindre le sentier. On explique aux chevaux qu’on a pas de meilleure solution, qu’ici ils n’ont de toute façon rien à manger, qu’il faut nous faire confiance et que ça va passer. Je convaincs Mousky en premier. Ca passe. Kiri suit avec Camille. Ca passe aussi. Saro, bâté, ne veut pas être en reste et décide de nous suivre avant que nous soyons revenu le chercher. Mais avec le bât, ça ne passe pas. Saro est coincé, le bât dans un tronc, sur une pente à 60° avec le cours d’eau en contrebas. Tout compte fait, la fin du monde est peut-être pour aujourd’hui. On se précipite pour l’aider à se libérer. En tirant sur ses jarrets et son dos, il parvient à se hisser sur le chemin pour rejoindre ses copains - les cavalières se sentent un peu (beaucoup) coupables de les avoir entraînés dans cette affaire. Vous pensez peut-être comme nous que le sort s’est suffisamment acharné pour aujourd’hui. Que nenni. 1 km plus loin, un arbre déraciné par la tempête nous coupe la route. Qu’importe, on le contourne en se frayant un chemin à coups d’opinel dans les ronciers. Plus loin, c’est le chemin qui disparaît, purement et simplement, en nous laissant face au vide d’une corniche. Y a des jours comme ça. Le soleil revient alors que nous retrouvons les châtaigniers dans la vallée. Nous avons rendez-vous à Saint-Pierreville avec Béatrice Barras, une des fondatrice d’Ardelaine. Il se peut que nous ayons un pris un peu de retard. Nous croisons une dame sur la route, intriguée par notre convoi. Nous nous octroyons une pause en discutant avec elle. Je suis toujours surprise de la chaleur et de la spontanéité de ces rencontres impromptues. Nous nous connaissons à peine que déjà elle serait prête à nous héberger. Ce serait tentant si nous n’étions pas attendues ailleurs. Il est 17h et les chevaux nous signifient qu’il est l’heure du casse dalle. Alors plus le temps pour les palabres, direction Ardelaine. L’endroit est magnifique, Béatrice, Willy et Nadia sont extrêmement accueillants, les chevaux sont confortablement installés et les cuirs mériteraient bien un coup de graisse. Nous décidons donc que notre tente restera plantée un jour de plus ici. Il faut bien se remettre de ses émotions. L’histoire d’Ardelaine est belle. Les valeurs qui y sont défendues sont justes. La cohérence de son fonctionnement est sans faille. Son engagement dans la vie du territoire nous a touché. Mon récit s’est déjà bien top éternisé, alors nous vous laissons découvrir cette belle aventure humaine, écologique et sociale à travers notre vidéo et notre plaquette !
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Juin 2020
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