Alexandrine raconte... Nous avons quitté Antoine après la traite, et faisons route vers St Félicien où nous attendent Camille et Manu. Bien sûr, ces trois là se connaissent. Bien sûr, le second Antoine que nous présentera demain Camille, connaît Philippe, du domaine de la Rivoire que nous avons quitté trois jours plutôt. D’amis en recommandations, notre route a pour toile de fond un continuum de personnes se connaissant de proche en proche, et le monde semble bien petit parcouru ainsi à cheval. Camille et Manu tiennent un relais équestre, où nous projetons de nous arrêter le temps d’une journée. Voilà quatre jours que nous nous débarbouillons à l’eau des fontaines, le froid est mordant pour la saison et nous arrivons à court de vivres. La perspective d’une douche et d’une nuit au chaud est donc réjouissante ! Nous progressons au milieu des genêts. Le soleil brille, les chemins sont agréables et Mousky, qui a très bien compris le travail du bât, nous suit tranquillement. Bref, tout va pour le mieux. Puis, le sentier débouche sur une grande prairie bordée d’arbres, une rivière coulant en contrebas. Un lieu idyllique. Le spot de sieste rêvé. Nous apercevons le sentier qui se poursuit par delà la rivière, après l’avoir traversée par un petit pont. Un trop petit pont. Encadré de deux balustrades, il n’est large que de 130 cm là où il nous en faudrait 150 pour traverser avec le bât. Laissant les chevaux profiter de l’herbe grasse de ce début de saison, nous longeons la rive à pied à la recherche d’un endroit où traverser à gué. C’est peine perdue. Des barbelés clôturent les berges et le pont apparaît comme la seule trouée. Nous considérons l’option de faire demi-tour, mais cela ajouterait 12 km au compteur d’une journée déjà bien entamée. Nous nous résolvons donc à débâter Mousky. Il nous faut ensuite transporter les caisses, puis faire traverser les chevaux et enfin, une fois l’équipe et le matériel réunis sur l’autre rive, rebâter de nouveau. Franchir ces 10 mètres nous aura demandé une bonne heure. Tant pis pour la sieste… Au détour d’un chemin, l’horizon s’ouvre et nous laisse apercevoir les crêtes du Vercors. Seule la vallée du Rhône nous sépare de ce massif auquel nous faisons exactement face. Leçon de géographie grandeur nature. Le Grand Veymont est enneigé, tout comme les sommets voisins. Peut-être l’avions nous déjà dit, mais le printemps semble avoir deux mois de retard cette année et le temps est particulièrement froid pour la saison. Aussi avons nous une pensée émue pour les cavaliers des Monts d’Or, partis en même temps que nous mais en direction de ces plateaux enneigés. Alors que nous contemplons le massif, nous les imaginons affronter un blizzard digne du Grand Nord et notre situation nous paraît alors parfaitement confortable. La halte chez Camille et Manu est très douce. Outre le confort d’un lit au chaud et la satisfaction de savoir les chevaux bien installés, outre le plateau magique de pâtes à tartiner et les repas délicieux, c’est avant tout la bienveillance et la conversation passionnante de nos hôtes que nous retiendrons. Tout plaquer pour s’installer en Ardèche. Restaurer une fermette, y monter un projet d’accueil. Reprendre des études de Shiatsu équin. S’inventer carreleur, maçon et boulanger. Fabriquer ses produits ménagers, faire vivre les producteurs du coin, s’impliquer dans le tissu associatif local. S’essayer à un mode de vie décroissant. Camille est aussi bavarde que Manu est taiseux, mais tous deux partagent le même plaisir d’échanger, sur tout et avec tout le monde. Sur la cuisson de la brioche, la conservation de la biodiversité, le crottin de cheval ou les initiatives alternatives à 50 km à la ronde. Et toujours sous le coude un livre à prêter pour alimenter une réflexion. Autant vous dire qu’on repart avec une pile à lire impressionnante. C’est grâce à Camille que nous avons pris contact avec Antoine et Magalie, les boulangers paysans de Pailharès. Alors que les chevaux profitent d’une journée de repos au pré, c’est elle également qui nous accompagne à leur rencontre. La ferme de Tisseron n’est pas de ces lieux où l’on arrive par hasard. Les chemins pluvieux que nous suivons pour aller à la rencontre d’Antoine et Magali ont comme un petit goût de bout du monde. A la fin du chemin de terre, nous apercevons pourtant un vieux corps de ferme et notre présence est immédiatement détectée par les chiens. Antoine, qui travaillait le bois dans son atelier, vient à notre rencontre. De la première à la dernière, chacune de nos rencontres nous aura fait ressentir cette ambivalence entre appréhension et curiosité. Nous sommes assez lucides pour savoir que nous pouvons être perçues comme deux petites citadines (pire même, parisiennes) venues se perdre dans la cambrousse. Nous savons également que notre passage peut sembler une intrusion dans la vie de travail, mais aussi de famille des personnes que nous rencontrons. Aussi, les premières minutes de nos rencontres sont souvent celles où l’on patauge un peu. Mais c’est à ce moment que les chevaux entrent en jeu et nous sauvent la mise ! Troisième pion dans la partie, ils décentrent la relation binaire et directe qui s’installerait entre nous et notre hôte pour devenir la préoccupation centrale de tous. Nous cherchons à les installer confortablement pour la nuit, et notre hôte se plie en quatre pour nous aider dans cette tâche. L’attention n’étant alors plus portée ni sur nous ni sur lui, la glace se brise, les langues se délient et le naturel revient au galop. Mobilité d’un autre temps, le cheval intrigue. Il rappelle des souvenirs passés. Il fait aussi sourire. Le sourire des inconnus à pied, à vélo ou en voiture qui nous croisent sur la route, mais aussi des personnes chez qui nous nous attardons. Nos trois chevaux, notre fourbi, les heures de préparation minutieuse, l’attention portée au bien être de nos compagnons de route… Les personnes que nous rencontrons y sont sensibles, et peu à peu les parisiennes sont oubliées pour laisser place aux cavalières voyageuses. Aussi sommes nous assez dépourvues de débarquer chez Antoine sans Mousky, Saro et Kiri. Mais nous ferons sans eux aujourd’hui ! Après s’être salués sous la pluie, nous rentrons nous abriter dans l’atelier. Antoine semble réservé. L’appareil photo et autre micro restent donc pour le moment au fond de nos sacs et nous ouvrons la discussion sur ce qui nous entoure : le bois. Nous ne savons pas grand chose de ce couple, hormis que Camille leur achète du pain au marché le dimanche matin. En venant, nous avons aperçu des moutons et des chevaux de trait, et nous voici maintenant entourées de planches et sciures de bois. Notre curiosité est attisée. Quel est le lien entre toutes ces activités ? Alors Antoine nous raconte. Il nous raconte sa passion pour le travail du bois. Ébéniste de formation, il rêve de débarder avec ses chevaux et de fabriquer des meubles, maîtrisant ainsi de bout en bout la filière du bois. Il nous raconte la volonté d’autonomie, qu’il partage avec sa compagne Magalie. C’est dans cette philosophie qu’ils ont rejoint un projet de collectif monté par des amis à Tisseron. Ce projet n’a pas tenu mais qu’importe. Magalie et lui ont racheté la ferme, décidés à y lancer une agriculture vivrière très diversifiée. Il nous raconte alors leur formation de berger, l’élevage de brebis, leur choix de sélection vers une race rustique et locale. Puis la culture de légumineuses, de pommes de terre et de châtaignes. Puis la production de fruits, en leur transformation en jus dans une coopérative locale. Enfin la production de céréales et la confection du pain, activité dont il dégage leur principal revenu. Il nous raconte son choix de la traction animale et sa peur d’y renoncer, par goût de la facilité, s’il achète un jour un tracteur. Il est toujours captivant d’écouter quelqu’un de passionné, et il est toujours plaisant de parler de sa passion. Une réciprocité qui favorise les échanges simples et vrais. Antoine nous emmène alors visiter son atelier de meunerie et son four à pain, puis nous invite chez lui à boire un verre. Attablés dans la grande salle, nous dégustons ses jus de fruits maison et faisons la connaissance de Magalie et de leurs deux jeunes enfants. Les conversations filent : la difficulté de faire sa place sans famille agricultrice garante, le regard réprobateur des anciens face à leurs choix de techniques paysannes d’antan, leur potager, leur pain et leur viande qui leur permettent d’atteindre une quasi autonomie alimentaire… Le couple vit avec 1000€ par mois et pense pouvoir dégager, à terme, deux smics de leur production. Cette somme nous paraît bien faible pour faire vivre une famille de quatre personnes. Pourtant, Antoine et Magalie nous assurent se satisfaire parfaitement de ce revenu. Premièrement, étant propriétaires de leur ferme et pratiquant une agriculture vivrière, ils n’ont pas à assumer ces deux postes de dépenses que sont le logement et l’alimentation. Ensuite, la raison principale demeure leur philosophie de vie : le couple a choisi de vivre de leur passion avec sobriété. Les rencontrer nous aura ouvert une nouvelle perspective. Il est claire que tout le monde ne pourrait pas vivre ainsi, mais ramener une forme de sobriété dans nos vie où l’on ne discerne parfois plus le futile de l’essentiel nous apparaît maintenant comme une évidence. Puis vient l’heure de rentrer les brebis. Nous suivons Magalie sur les chemins, le plus jeune des enfants installé sur son dos et l'aîné équipé de bottes trottinant à côté. Arrivée au limite du parc, elle appelle et il ne faut que quelques minutes pour voir apparaître les premières toisons derrière les fourrées. Elle guide ensuite le troupeau vers la bergerie et nous fermons la marche, comme sur le pas-de-porte d’un autre monde.
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Juin 2020
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